École Nationale Supérieure d’AudioVisuel - Université Toulouse Jean Jaurès
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Discours d’inauguration des nouveaux locaux de l’ESAV

jeudi 14 octobre 2010

56 RUE DU TAUR, LE RETOUR

Discours d’inauguration de l’ESAV au 56, Rue du Taur, par Guy Chapouillié, le 3 Novembre 2003 :

« Il y a une éternité moins un jour, j’avais annoncé notre déménagement et déclaré que tout serait mis en œuvre pour qu’il ne manquât rien, même pas la moindre tringle à rideau.

Aujourd’hui le compte est bon, si j’oublie les écueils propres à tout rivage, les derniers vents contraires et l’air de la jalousie de quelques étranges sirènes : Les tracasseries, je les accepte, je les accepte beaucoup moins lorsqu’elles atteignent les étudiants. Mais au fond, je me dis que les méchants ont leurs moments de bonté, et que je n’ai jamais connu de méchants parfaits. Et puis, ça doit être si fatigant d’être méchant.

Alors, je suis un homme comblé, au cœur de la beauté d’un lieu qui donne du courage, illumine les visages et fait rire aux larmes les étudiants qui sentent des ailes leur pousser. Tout vient à point, et le 56 rue du Taur est une qualité donnée au personnel et aux étudiants de l’ESAV pour servir encore mieux l’universitas. (aujourd’hui 250 étudiants, un IUP, une option DESS, un DEA, un DRT, deux doctorats et un laboratoire de recherche habilité, demain sans doute un titre d’Ingénieur en plus).

Ce lieu, ni levant ni ponant, tout simplement le centre de Toulouse, est une belle restauration de 2500 mètres carrés de locaux que caresse le parfum des vestiges de l’ancien collège universitaire où les étudiants tenaient le haut du pavé.

Il s’agit donc moins d’une arrivée que d’un retour, sans doute à la recherche des « libertés de la république toulousaine » ; un singulier retour avec la complicité fidèle de toute la communauté, qui n’a jamais oublié la ville, et grâce à l’effort sans relâche des étudiants qui ont donné corps et âme à l’Ecole en réalisant des films qui perpétuent le souvenir d’une naissance et d’un enracinement. De telle sorte que la distance qui sépare la Tour Maurand du Château du Mirail ne sera jamais un éloignement.

Au Mirail, nous y sommes nés, nous y avons grandi, nous sommes de là, comme je suis de Casteljaloux, avec sa forêt, ses palombes et son rugby, là où germèrent mes premiers rêves.

D’ailleurs, lors du déménagement, dans un nuage de poussière argentique,
Fue una vaga congoja de dejarte
Lo que me hizo saber que te queria
Ce fut une vague angoisse de te quitter
Qui me fit savoir que je t’aimais
(premier quatrain d’Alma venturosa (Ame heureuse), l’un des sonnets de Las horas doradas (les heures dorées de Leopoldo Lugones) de 1922.

Mais, lorsque je regarde la Tour Maurand, et que je m’installe dans une de ses salles, un autre sentiment remonte à la surface ; je suis alors un hérétique Agenais, très ému, que contemple une famille aux 80 Capitouls dont un des membres, Pierre Maurand, accusé de catharisme dut démanteler la Tour, dont la partie basse, seule, échappât à la démolition. Vendue en 1360 pour la création d’un collège universitaire destiné à 20 étudiants, elle présente, aujourd’hui la plus ancienne voûte sur croisée d’ogives de la ville. Rien de cet héritage n’a été négligé, tout, du galet à la brique, a été conservé jusqu’à donner à l’ensemble la couleur et l’odeur d’une histoire complexe ; cela, nous le devons aux architectes Nicole Roux-Loupiac et Jean Philippe Loupiac, infatigables concepteurs, d’une écoute et d’un engagement rares, qu’ont relayé avec courage les ouvriers de toutes les entreprises, constructeurs fidèles, décidés à ne rien lâcher sur un chantier où tout était difficile (quasiment chaque salle a bénéficié d’un traitement particulier). J’aimerais bien qu’ils soient vivement ovationnés.

En vérité, je ne sais quel destin m’a poussé à cette place, sans doute la rêverie… vous savez, ce rêve sous le contrôle d’un désir d’innovations bizarres, inattendues, inquiétantes pour certains, drôles pour d’autres… en tout cas d’un désir de faire, près de chez moi, une école de Cinéma, rareté jusqu’alors parisienne. La réalité a dépassé la rêverie ou plutôt la rêverie a sécrété la réalité.

En tout cas la réalité n’a pas toujours été rose et il n’est pas surprenant de savoir que « la vertu qui m’attire le plus est la générosité », celle reçue comme celle donnée. J’en profite pour demander à Fanny, Fabien, et Dominique de me pardonner si j’en ai manqué à leur égard, mais je les aime trop pour les ménager… je sais très bien ce que leur a coûté le développement de l’ESAV et leur mérite est grand, il est de ceux que je place en premier.

Or donc, cette fertile aventure demeure le fruit d’une convergence de volontés sincères qui font honneur à la communauté universitaire, aux collectivités territoriales (à Yves Dupin, Didier Bernadet l’intuition première puis à Charles Marziani la réalisation concrète) et à l’Etat (Francine Demichel, surtout, directrice de l’enseignement supérieur éclairée et chaleureuse qui a toujours cru en l’ESAV…).

Mais plus encore il s’agit du triomphe des amitiés complices, celle d’une bande d’abord, d’une équipe ensuite, avec des amis sans frontières, amateurs de formes autonomes et de gestes singuliers comme celui de l’arrivée en 1976, dans cette université, d’un camion de 22 000 litres de vin du midi conduit par des membres du MIVOC, invités par les étudiants en grève dans un mouvement rare de fraternité où j’opérais en silence pour le tournage du film N’I A PRO, mais pas incognito puisque Jean-Louis Dufour, actuellement MCF à l’ESAV, veillait avec son appareil photographique en vue d’une maîtrise d’Histoire pour fixer les intervalles visibles de mes premiers pas, ici , sans oublier ceux d’Hubert Guipouy, lui aussi MCF à l’ESAV. Peut-être avons-nous là le commencement de notre naissance ? Par un cortège dionysiaque.

Certes, le projet a profité sans doute de circonstances favorables, mais il y eut surtout des personnes généreuses, dans une communauté universitaire solidaire.

Des hommes incandescents comme Joan Claret dont je n’oublierai jamais la voix profonde et bouillonnante de protestations, qui a tout mis en œuvre pour que se monte dans l’urgence « L’atelier 16 », véritable creuset des tout premiers étudiants de l’ESAV.

Puis d’autres hommes ont définitivement pesé, encore enclins à s’émerveiller, loin de tout scientisme triomphant, qui savaient parler mais aussi se taire pour chercher à se soustraire aux excès du pouvoir et veiller à ne soumettre personne comme le Président Bartolomé Bennassar, fine mouche et sourire fécond du complice intégral puis le Président Georges Mailhos, prête nom sans retour, veilleur infatigable qui n’a jamais manqué l’occasion de m’épingler, un véritable amoureux de cinéma qui a construit et dirigé à l’UTM le premier DEA d’Etudes cinématographiques.

L’époque n’appartenait pas aux commentateurs en tout et les vrais amateurs l’emportaient encore sur les juges. Personne ne s’est avancé pour me faire vivre la vie du tonnerre et j’ai pu trouver en Rolande Trempé, Bernard Kayser le prolongement généreux des orientations impulsées par André Veinstein, François Châtelet et Marc Ferro dans le cadre infernal mais combien emballant du Centre expérimental de Vincennes qui demeure encore pour moi une source nourricière.

Il me faut dire et redire la belle opportunité qui m’a été offerte de pouvoir expérimenter et développer toujours, dans cette université, mes idées sur l’art et le cinéma en particulier que j’envisage comme un mouvement d’effraction du réel, un événement où l’explication résiste et souvent se refuse.

D’abord, ne faire rien sans gaieté ; faire aimer le cinéma et voir en lui une forme de bonheur, qui ranime le génie éteint, qui rend la jeunesse à l’amoureuse, et qui garde à notre tendresse le souvenir des amis disparus ; et puis se pencher sur l’hypothèse selon laquelle le cinéma pourrait s’approcher d’une écriture quasi définitive, sans oublier de tenir compte de l’avertissement de Jean-Paul Sartre, qui lorsqu’il s’avisât de l’existence du cinéma, « il y avait beau temps qu’il était devenu notre principal besoin ».
Au fond, comme le livre et à la suite du livre, le film est un prolongement de notre mémoire, de notre imagination, de notre corps dans le monde
Il faut alors le comprendre en tant que mode d’investigation du monde, un mode de recherche parmi d’autres, à la mesure de ceux qui s’y risquent pleinement.

Ce cinéma-là, qui entretient une certaine idée de l’homme, est un des chemins de cette liberté intérieure où le discernement et l’intuition intellectuelle rendent la sensibilité plus sensible aux plis et replis des choses, plus ouverte à la vérité, fût-elle désespérante, fût-elle mortelle.
Découvrir ce que seul le film peut découvrir, c’est la seule raison d’être d’un film. Le film qui ne découvre pas une portion jusqu’alors inconnue de l’existence est immoral. La connaissance est la seule morale du film.
Cependant, la passion de connaître qui s’est emparée de l’homme, emprunte aussi des orientations scientifiques qui réduisent le monde à un simple objet d’exploration technique et mathématique, et excluent de leur horizon le monde concret de la vie au risque de sombrer dans « l’oubli de l’être ».
Nous n’avons jamais craint le changement, mais sans écarter ce qui reste permanent, comme l’homme et l’idéal démocratique, que j’identifie avec un effort millénaire de la vie, vers le plus haut état de conscience et de liberté. Contre le déchaînement des égoïsmes, la disparition ou l’extrême précarité des politiques d’émancipation, la multiplication des violences ethniques et l’universalité de la concurrence sauvage.

En vérité, la multiplicité des goûts est une catégorie démocratique à préserver pour éviter qu’il n’y ait bientôt plus d’amateurs, seulement des juges, des malfaiteurs de goûts.

Certes, on peut toujours se poser la question de savoir ce que le cinéma français (d’ici ou d’ailleurs, de Midi-Pyrénées ou du Nord-Pas de Calais), va raconter de saignant au monde entier, d’unique, de nouveau, quelle sera la nature de ses inventions, mais pour y répondre vraiment, encore faut-il en faire l’expérience. La fabrication du mémorable est difficile, elle demande du temps, des moyens et des efforts soutenus, tant au niveau de l’enseignement, de la recherche que de la création.

A ce stade il est important de souligner que la défense du patrimoine et de l’industrie d’un pays n’est garantie qu’à la hauteur de l’investissement qu’on lui consacre ? Et certains vont même jusqu’à penser que tout enrichissement de la formation, de la formation artistique notamment et cinématographique en particulier, est un renforcement de la défense nationale, n’est-ce pas mon très cher Robert Cravenne… Intermittents (Ami, l’heure est grave car la création est mise au pilori. Comme bien d’autres choses, elle est invitée à se soumettre à l’ordre moral et économique d’un libéralisme européen qui privatise à tour de bras, qui chasse le service public et nous promet un service universel dont les contours sont incertains, qui redistribue les richesses aux riches, qui propose de disperser aux quatre vents les principes de la laïcité et qui nous promet un enseignement de moins en moins homogène, de moins en moins républicain. Le lien social ne tient plus qu’à un fil d’intermittent. Si bien, que je refuse la bonne vieille tolérance qui consiste à ne pas s’offusquer que d’autres agissent autrement que vous ne le faites. Une position qui tourne le dos à la vérité ; en effet je ne tolère pas que des acteurs de la vie crève la faim au moment même où ceux qui cassent le métier touchent des sommes folles ; je ne tolère pas que des émissions de télévision répètent à l’infini les mêmes « compétitions d’imbéciles », fermant à 20 heures 30 ou 21 heures, le rideau de l’invention, de l’aventure culturelle, de la solidarité et de la fraternité. Dans cette affaire je revendique un zéro de conduite).

Fort heureusement, il y a dans notre région, des hommes et des femmes qui travaillent à l’avènement d’un réseau vital autonome de l’audiovisuel (Enseignants-chercheurs, producteurs, réalisateurs, techniciens, diffuseurs, Gens de Cinémathèque, nos voisins d’en face peu ordinaires, avec lesquels nous avons déjà fait les 400 coups - n’est-ce pas Pierre Cadars, La semaine du cinéma Finlandais notamment - c’est un rapprochement unique en France, rare en Europe, en tout cas une belle annonce faite aux étudiants d’une découverte plus en profondeur des films nécessaires à l’éclosion de leur style et à l’accomplissement de leur personnalité. A eux d’être dignes de ce voisinage…)

Alors, et cela ne surprendra personne, je suis particulièrement sensible à l’action du Président Martin Malvy qui, avec la création du Pôle-Image joue la carte vitale des entreprises de contenus, sans lesquelles la puissance symbolique s’étiole et le pays s’efface. Je suis sensible à la politique qui soutient l’enseignement de l’Audiovisuel, la création, la délocalisation des ateliers, la diffusion et par conséquent les festivals, ces puits d’expression, de création, d’émotion, de dégustation, là où se font, se défont et se refont des films ; là où les publics retrouvent le chemin direct des arts et par conséquent une meilleure santé critique.

Avec ses nouvelles installations l’ESAV possède les moyens d’une autre mesure pour tenir, sans faillir, une nouvelle place dans ce réseau ainsi que dans celui du CILECT (là le rayonnement national et international, notamment festival et universités d’été). Elles nous permettent encore d’avoir la direction d’un projet trinational de Master européen.

Il s’agit là d’une consécration à laquelle ont contribué de manière décisive nos deux derniers Présidents, Romain Gaignard et Rémy Pech, si différents dans la méthode, mais pareillement soucieux de la mission de service public de l’enseignement supérieur à laquelle ils savent que l’ESAV n’a jamais dérogé.

C’est clair, nous ne sommes pas des héritiers fatigués, nous ne nous laisserons pas enlever l’héritage de la République par morceau et nous ne renonçons jamais à la liberté de créer dans une école publique destinée à donner au pays des cadres citoyens.

Seuls les étudiants peuvent en témoigner, les anciens comme les nouveaux, car personne n’ignore leur rôle dans les réussites de l’École, ils sont le présent du présent, le présent du passé et le présent de demain, ils occupent tous les intervalles pour réaliser et se réaliser ; le ventre collé aux images et aux sons, ils ont produit un patrimoine exceptionnel, de plus de 6000 films, (souvent primés, image aussi de l’UTM), qui fixe une bien belle histoire et leur révèle un temps où vivent les formes : Dominique, Pierre, Valéry, Jacques, Maryse, Raoul, Claire, Éric, Gabrielle, Yan, Marie, Alex, Sarah, Vincent et les autres… nous vous devons beaucoup.

Nous sommes désormais au port vers lequel nous tendions depuis trop longtemps et l’équipage a le sourire ; j’aperçois les anciens ; les nouveaux sont tous là ; il y a même ceux et celles qui sont partis lors de maintes escales ; c’est sans oubli que je veux rendre hommage à tous, à leur engagement et à leur dévouement. Dans des conditions pas toujours évidentes ils n’ont jamais lâché le morceau et permis à l’ESAV de prendre le temps, car il y a une fausse accélération de l’histoire qui n’est qu’un épuisement, et finalement un appauvrissement des êtres.

Ainsi va l’ESAV, entre la pesanteur et la grâce, qui s’expose en marchant. »

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